PERTURBATIONS DES DOSAGES HORMONAUX THYROÏDIENS
D'ORIGINE MÉDICAMENTEUSE
Docteur Hussein Weizani *
Mots-clés : Dosages hormonaux thyroïdiens, interactions
médicamenteuses, modifications cliniques et biologiques.
PERTURBATIONS
DES DOSAGES HORMONAUX THYROÏDIENS D'ORIGINE
MÉDICAMENTEUSE
De nombreux médicaments
interfèrent et perturbent les dosages hormonaux thyroïdiens par
différents mécanismes. L'administration d'hormone
thyroïdienne à visée substitutive, par exemple, est prise
en compte directe ment par les différents immunodosages et peut être
faussement interprétée comme une hypersécrétion
si ce trai tement n'est pas connu du biologiste.
Les médicaments peuvent agir à toutes les étapes,
de la régulation hypothalamo-hypophysaire à la synthèse
hormonale en passant par le transport, la fixation aux récepteurs
des cellules cibles et le catabolisme hormonal. Il en résulte
d'importantes modifications, essentiellement lorsque ces modifications affectent
les concentrations des fractions libres.
L'expression de ces modifications, souvent modérée
et transitoire, dépend de nombreux autres facteurs (stress, pathologie
causale, prises médicamenteuses multiples).
L'interprétation des bilans hormonaux thyroïdiens
n'en sera que plus délicate si on ne prend pas en compte, au même
titre que la qualité du dosage effectué, ces différents
paramètres.
Key words : thyroid hormonal assays, drugs interactions, biological and clinical
modifications.
DRUGS PERTURBATIONS OF THYROID HORMONAL ASSAY
Numerous drugs may interfere and disturb thyroid hormonal assay
with differents mecanisms. The differents immunoassays measure substitutive
therapy by L thyroxin and may be interpreted as a state of hypersecretion
(in case of overdosage), if this treatment is not known.
Drugs are operating at each stages of thyroid function : pituitary
regulation, hormonal synthesis, protein transporter, binding to target cells
receptors and hormonal catabolism.
These perturbations rise different biological and clinical
modifications, especially when they affect free hormone concentration and
direct effect on the target tissus. Their expression is often moderate,
transitory and depends on the patient's state (stress, initial pathology,
drugs use or abuse).
The knowledge of these drugs interactions is as important as the
quality of the immunoassay; the main point is to mention every medical treatment
before each biological investigation to avoid recurrent assays and false
diagnosis.
De nombreux médicaments interfèrent et altèrent
les dosages hormonaux thyroïdiens par différents mécanismes.
C'est ainsi que l'administration d'hormone thyroïdienne à visée
substitutive est prise en compte directement par les différents immuno
dosages et peut être faussement interprétée comme une
hypersécrétion si cette administration n'est pas connue par
le biologiste. Il importe donc que toute demande de dosages soit
accompagnée d'un minimum de renseignements concernant le patient pour
éviter des contrôles multiples, voire même des erreurs
de diagnostic.
L'expression de ces modifications est souvent modérée
et transitoire, mais est très variable d'un sujet à l'autre
et dépend de nombreux autres facteurs (stress, pathologie causale,
prises médicamenteuses multiples).
RAPPEL SUR LA SYNTHÈSE ET LA
RÉGULATION DE LA FONCTION THYROÏDIENNE
La TSH commande les différentes étapes de la synthèse
et de la sécrétion hormonale et, en premier lieu, celle de
la thyroglobuline (Tg). C'est le constituant protéique majeur de la
thyroïde, support de la synthèse et du stockage des hormones
thyroïdiennes. La TSH stimule également :
Dans le sang, les hormones thyroïdiennes sont liées à
des protéines de transport (TBG ou Thyroxin Binding Globulin, TBPA
ou Thyroxin Binding Prealbumine et albumine) et, seule une petite fraction
(< 1 %) circule sous forme libre.
La T3 qui est l'hormone active provient en grande partie (80%) de
la désiodation périphérique de la T4 sous l'effet d'une
5' monodésiodase. La T4 est également transformée en
T4 inverse ou rT4 (reverse T4) inactive par action de la 5
monodésiodase.
La TSH est une glycoprotéine bicaténaire formée
d'une sous unité n (commune à FSH, LH et hCG) et d'une sous
unité p qui lui confère sa spécificité biologique
et immunologique. Sa sécrétion est variable au cours du
nycthémère avec un maximum entre 23 h et 2 h et un minimum
vers 16 à 17 h.
Elle est régulée par des mécanismes complexes
où dominent :
D'autres facteurs interviennent également dans cette
régulation :
-
la noradrénaline stimuline la sécrétion de TSH
qui est inhibée par les corticoïdes,
-
la dopamine et la somatostatine diminuent la sécrétion
basale et la réponse de TSH sous TRH, alors que les strogènes
augmentent cette réponse,
-
un apport d'iode important se traduit, chez les sujets normaux, par
un blocage de l'organification de l'iode donc une diminution de la synthèse
hormonale: c'est l'effet Wolf-Chaïkoff qui est transitoire avec
échappement au bout de 48 heures.
MÉCANISMES D'ACTION DES MÉDICAMENTS
Les médicaments peuvent agir à toutes les étapes,
de la régulation hypothalamo-hypophysaire à la synthèse
hormonale en passant par le transport, la fixation aux récepteurs
des cellules cibles et le catabolisme hormonal. Il en résulte
d'importantes modifications biologiques, mais également cliniques,
essentiellement lorsque ces modifications affectent les concentrations des
fractions libres (dont dépend l'activité hormonale) et l'effet
direct des hormones sur les tissus cibles.
A - Action sur la TSH
L'inhibition de la TSH par les hormones thyroïdiennes
administrées dans le traitement du cancer de la thyroïde est
l'effet recherché. Mais cette inhibition peut aussi être le
reflet d'un surdosage dans le cas du traitement substitutif des
hypothyroïdies.
La TSH est également inhibée par la dopamine et ses
agonistes (L Dopa, bromocryptine, piribédil, lysergoline) par les
antisérotoninergiques (cyproheptadine, méthysergide et
méthergoline), la somatostatine, les corticoïdes et la
phénytoïne.
A l'inverse, tous les médicaments interférant avec la
synthèse thyroïdienne (iode et produits iodés, lithium,
amiodarone cf. infra) auront, par le biais du rétro contrôle,
un effet de stimulation sur la TSH.
C'est aussi le cas des antidopaminergiques (neuroleptiques,
métoclopramide, sulpiride, tiapride, dompéridone) et des
strogènes.
L'acide iopanoïque, par action compétitive au niveau du
récepteur hypophysaire à T3, exerce également un effet
direct de stimulation de la TSH.
B - Inhibition de la synthèse et de la
sécrétion
Les antithyroïdiens de synthèse sont administrés
dans ce but. C'est le cas du Néomercazole (carbimazole), du Basdène
(benzylthiouracil) et du PTU (propylthiouracil). Le PTU exerce également
une action périphérique en inhibant la conversion de T4 en
T3.
L'iode, les produits de contraste et les médicaments iodés
provoquent une inhibition de l'organification de l'iodure. Cet effet est
transitoire avec un échappement qui se produit en quelques jours.
Les dysthyroïdies iodo-induites sont cependant fréquentes, plus
particulièrement lorsqu'il existe une pathologie thyroïdienne
sous-jacente. Elles peuvent toutefois survenir sur un corps thyroïde
sain.
Il faut aussi mentionner le cotrimoxazole, le clomifène, le
nitroprussiate de sodium et surtout le lithium qui, de plus, inhibe la
protéolyse de la thyroglobuline iodée.
C - Modification des protéines vectrices
Les médicaments peuvent modifier la synthèse des
protéines vectrices en l'augmentant (strogènes,
opiacés, clofibrate et 5 fluoro-uracile), ou en la diminuant
(androgènes et stéroïdes anabolisants, glucocorticoïdes
à doses importantes). Il s'ensuit une modification du taux des hormones
totales portant surtout sur T4 sans perturbation des fractions hormonales
libres (T4 L et T3 L), ni de la TSH.
Il en va tout autrement lorsque les médicaments agissent par
compétition de liaison avec les protéines vectrices. C'est
le cas avec la phénytoïne, les salicylés et autres AINS,
le furosémide (à doses élevées), le mitotane,
le diazépam, les sulfonylurées et l'héparine.
Il s'ensuit donc une élévation de la T4 libre (+ T3
libre) mais cet effet est fugace, avec possibilité de manifestations
de thyrotoxicose, et la diminution de la TSH qui en découle rétablit
secondairement l'équilibre.
D - Altération du métabolisme des hormones
thyroïdiennes
Inhibition de la conversion périphérique de T4 en T3
par inhibition de la 5' monodésiodase. C'est le fait des composés
organiques iodés, du propranolol, des corticoïdes, de la clomipramine
et souvent de l'amiodarone, réalisant un syndrome de T3 basse avec
T4 élevée et TSH normale
Les dysthyroïdies induites par l'amiodarone sont fréquentes
et peuvent être dues à différents mécanismes
(surcharge iodée, inhibition de la conversion de T4 en T3, analogie
de structure) Elles sont difficiles à affirmer. En plus de
l'élévation de la T4, il faut exiger une diminution de la TSH
pour le diagnostic de l'hyperthyroïdie et à l'inverse une diminution
de la T4 et une élévation de la TSH pour celui de
l'hypothyroïdie.
E - Accélération de la clairance métabolique
par induction enzymatique
Un anticomitial, la phénytoïne, par induction des enzymes
microsomiales hépatiques oxydatives, induit une diminution de la T4
sans modification de T3 et de TSH (avec également une baisse de la
rT3). Les autres anticomitiaux (phénobarbital, carbamazépine,
primidone) ont un effet moindre, mais potentialisent ceux du
précédent, tout comme la rifampicine.
F - Perturbation du cycle entérohépatique
Le catabolisme des hormones thyroïdiennes est fait de
désaminations et de désiodations avec conjugaison et
excrétion biliaire et fécale. L'excrétion fécale,
s'accompagne d'une recirculation partielle de T4 et de T3. Celle ci peut
être perturbée par la cholestyramine et la néomycine
qui complexent les hormones thyroïdiennes avec une diminution modeste
de T4 et T3. Ces substances sont à même de provoquer une
augmentation des besoins en hormones des hypothyroïdiens
substitués.
G - Altération du transfert tissulaire des hormones
thyroïdiennes
Elle réalise à l'extrême un véritable syndrome
acquis de résistance aux hormones thyroïdiennes : certains produits
anesthésiques (dithylether, halothane et isoflurane) ont un tel effet,
avec une augmentation concomitante de T3, T4 et TSH mais sans manifestations
d'hypothyroïdie du fait de la brièveté de l'action.
Ces manifestations d'hypothyroïdie sont possibles avec d'autres
médicaments agissant par compétition avec le récepteur
nucléaire à T3 : c'est le cas de la phénytoïne,
au niveau hypophysaire et d'un métabolite de l'amiodarone, le
desethylamiodarone, au niveau cardiaque.
Toutes ces interactions sont fréquentes et n'en rendent que
plus délicate l'interprétation des bilans hormonaux
thyroïdiens si on ne prend pas en compte ces différents
paramètres, au même titre que la qualité du dosage
effectué.
BIBLIOGRAPHIE
-
1. CARON P. Effets de l'amiodarone sur la fonction
thyroïdienne. La Presse Médicale. 1995 ; 24 : n°
37
-
2. BURGER AG. Effects of certains pharmacologic agents on the
peripheral metabolism of thyroxine. In: Werner's. The Thyroid, 5th ed. ;
350-360.
-
3. RIOTI E, BRAVERMAN LE. 1odine-Induced Thyroid Disease. In
: Contemporary Endrocrinoloy. Diseases of the thyroid. 1997 ;
369-383.
-
4. SEGRESTAA JM, BERGMANN JF. Interférences des
médicaments et des immunodosages hormonaux. Immunoanal. Biol. Spéc.
1989 ; 17 : 27-33
-
5. SCHLIENGER JL. Perturbations des dosages hormonaux
thyroïdiens d'origine médicamenteuse. Le concours médical.
1983 ; 105 : 30-31.
*Centre de Biologie Médicale Spécialisée
(CBMS), laboratoire d'hormonologie, Institut Pasteur, 25, rue du Docteur
Roux, 75724 PARIS cedex 15, France.
Journées fnternationales de biologie (JIB 97),
l4 novembre 1997. L'Eurobiologiste 1998;235:5-177
|